FIL DE TRIBUNES

Football : une autre gouvernance ?

Adel Sabri

Said Ennjimi

Enfin de l’espoir après un long tunnel !

Le samedi 21 janvier dernier, 63,7 % des clubs de football de Nouvelle-Aquitaine ont décidé d’élire la liste que Saïd Ennjimi conduisait pour briguer la direction de ce territoire né de la fusion Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes, une zone vaste comme l’Autriche (et qui représente 1/8 de la France). Rencontre et tribune.

Qui suis-je ? 

J’ai 43 ans, né au Maroc, donc d’origine maghrébine, j’ai grandi dans un quartier « sensible » de Limoges, arbitre et expert-comptable ! Pas le profil idéal de l’emploi. Par provocation, j’aurais pu ajouter : et pourquoi pas femme, homosexuel et/ou en fauteuil roulant pour atteindre le cumul ultime des « handicaps » du genre. Non ce ne sont pourtant pas des handicaps d’être … de la diversité et en faveur de plus de … mixité en tous genres. C’est sans doute même l’opportunité d’apporter un regard différent dans nos institutions sportives marquées par le caractère monolithique et récurrent d’une vision de gouvernance très orientée : homme, occidental, de 55 à 75 ans (pour ne pas dire plus à certains endroits).

Profil général des dirigeants des institutions sportives 

Sans reprendre une analyse statistique connue de tous, regardons simplement autour de nous, à la télévision, dans les colloques, à la tête des fédérations, jusqu’à la préparation-même de la candidature JO Paris 2024. Partout, l’avènement du même « type de dirigeant ». Je ne tire pas non plus à boulets rouges sur tous les élus qui, pour la plupart, ont le mérite et l’estime d’avoir donné depuis de nombreuses années de leur temps libre et de leur envie de bien faire.

Reconnaissons que nous avons créé un système qui favorise une « reproduction générationnelle » visant à transmettre le pouvoir – quand il est vraiment passé, c’est-à-dire tous les trois ou quatre mandats quand ce n’est pas plus – entre un baron et son vassal : un « adoubement de l’entre-soi ». Unicité de liste, principe de grands électeurs, ratiocinage forcené des textes pour équilibrer les votes et disqualifier l’émergence de candidat(e)s hors-système. Partout, pendant de longues années, nous avons assisté à une confiscation du pouvoir et de l’accès à la gouvernance par une caste qui a cru que le sport, ses licenciés, ses clubs,… lui appartenaient. A quelques exceptions près, chacun, chacune peut raconter sa réalité à avoir tenté, en vain, de défier l’establishment.

 Des avancées ?

Quelques progrès louables sont à constater. Ils sont mineurs et marginaux. Pourquoi ? Le socle lui-même ne bouge pas vraiment. Quelques frémissements ici ou là. C’est déjà un signe. Tant mieux : soyons optimistes et audacieux ! Le sport est un des derniers bastions où l’accès à la gouvernance n’a pas grand chose à voir avec la représentation démocratique. On veut bien que les blacks et beurs jouent dans les clubs et en sélections mais pas trop dans les couloirs des fédérations. On accepte que les femmes s’impliquent mais cantonnons-les à des rôles de terrain et de club-house, pas trop non plus à la tête des instances. On tolère que les jeunes pointent le bout de leur nez mais tout doux, jeunes gascons impatients, prenez votre ticket et attendez votre tour dans le tunnel du passage incontournable des strates intermédiaires du pouvoir !

 Des milliers de kilomètres à la rencontre des femmes et hommes sur le terrain 

Bref, j’ai réalisé – presque malgré moi – une grande surprise en triomphant de deux autres candidats lestés de leurs années d’expérience et plantés par leur soif inextinguible de rester au pouvoir coûte que coûte à 67 et 74 ans. Attention, ça ne s’est pas fait en agitant un chiffon rouge et en dézinguant à tout-va. Non ça s’est fait en menant une campagne de terrain, des milliers de kilomètres entre Guéret et Biarritz, entre Bressuire et Pau. A rencontrer les dirigeants des clubs : en ville, dans les quartiers, à la campagne, au bord de la mer et à la montagne, les clubs pros, les clubs amateurs, les clubs de la ruralité,… des dizaines de bons souvenirs, de poignées de main, de sourires, de verres à la buvette et beaucoup de : « Ah M. Ennjimi, ça fait plaisir de voir quelqu’un de la Ligue ! » Une campagne menée aussi sur les réseaux sociaux avec un directeur de campagne et ses dizaines de « petites mains » pour relayer le discours, prêcher la bonne parole, recueillir les suffrages et les procurations. Une campagne au forceps avec le concours des medias passionnés par l’idée d’assister à autre chose qu’un sacre annoncé dans la proclamation sans surprise d’une liste unique.

 Un engagement sur mes valeurs

Au final, c’est un message d’espoir que j’entends adresser. La France est enfin prête à du changement dans ses dirigeants sportifs. Et je vais m’y employer, jour après jour, dans ma Ligue et à la Fédération Française de Football. Déjà, j’ai annoncé que je ne ferai que deux mandats successifs et encore si les clubs veulent bien de moi une seconde fois. Je m’y tiendrai. D’une part, la fonction use et abuse de la résistance physique et mentale du dirigeant. A 52 ans, je serai encore « jeune » mais déjà marqué par l’exercice du pouvoir dans les arcanes fédérales et régionales. D’autre part, ce sera à d’autres de prendre le relais. Je m’y emploierai et je serai ravi que ce soit une femme, grosse ou jeune, un black, petit ou avec des lunettes, un malentendant, une lesbienne. Ca peut aussi être un homme blanc de 65 ans. S’il a les mêmes valeurs que moi évidemment et qu’il est prêt à partager le pouvoir.

En route vers un nouvel avenir du sport ?

C’est un message aussi d’intégration réussie que je tiens à partager.

Non, tous les Karim, Timothée et Fatima ne font pas que la tribune des faits divers. Ils sont aussi garants de réussite sportive, socioprofessionnelle et politique. Ils sont le témoignage vibrant de Français issus de la diversité qui aiment la France, qui ont une certaine idée du vivre-ensemble dans le respect et la tolérance de l’autre. Ils sont surtout des sources d’inspiration pour d’autres jeunes qui arrivent et qui veulent jouer, entraîner, arbitrer, diriger et apporter leur pierre à l’édifice du sport français.

Pourvu qu’on leur en laisse la place, toute leur place.

 Merci Saïd Ennjimi.

Réside à Limoges

Né à Casablanca (Maroc)

Président de la Ligue de Football Nouvelle-Aquitaine

Arbitre professionnel de football (Ligue 1)

Expert-comptable (Limoges, Argenton/Creuse, Paris)

Patron d’une miroiterie-verrerie (Le Mans)

Titulaire du DESS Droit-Economie et Gestion du Sport (CDES Limoges)